Si vous peignez et ne vous impliquez pas dans une réflexion qui prend du temps vous ne pourrez jamais accéder aux processus d’une véritable création, et ce billet n’est pas fait pour qui n’a que faire de passer du temps à réfléchir !
Alors, revenons à « La parabole de Liaucous », et au sens des enseignements qu’elle nous apporte, sujets essentiels de réflexions sur notre manière d’aborder la peinture, en répondant aux questionnements de notre raison d’être picturale et de notre positionnement artistique .
Si vous m’avez suivi jusqu’ici, vous avez peut-être compris que rien ne s’acquiert d’un claquement de doigts, ni sans prises de risques et efforts…
Dans l’action, nous arrivons à présent au point ultime de notre ascension, au moment où nous allons quitter l’élément « terre » (aussi vertigineux soit-il dans nos falaises de Liaucous), pour affronter le vide, ou plutôt nous envoler, nous projeter dans l’élément « air », pour aborder ainsi une nouvelle notion sensorielle de l’espace qui plongera notre regard et notre perception du monde, au cœur des trois dimensions physiques les plus apparentes de l’univers.
Mais auparavant, il reste deux expériences à vivre : celle de la dialectique entre « le dedans et le dehors » (avec un passage au sein même de la roche que nous gravissons), et celle de la première approche d’une « phénoménologie de l’espace », avec le passage de la Tyrolienne.
J’utilise peu de symboles directs dans cet épisode de « La parabole de Liaucous » où je ne développe pas ce concept à propos de la Tyrolienne, qui évoque pourtant l’égale importance de l’espace ressenti et vécu (c’est-à-dire dans l’ordre de l’intime et de l’individuel) et de l’espace topographique dans lequel les hommes évoluent : essentiel en art.
C’est la relation entre ces deux espaces, c’est-à-dire l’expérience du monde et la perception de cette expérience, qui est l’objet même de la phénoménologie, à travers laquelle j’aurais fait allusion à Maurice MERLEAU-PONTY, dont l’enseignement est précieux (car il nous invite à nous libérer des habitudes et de l’austérité de la représentation intellectuelle du monde, tout en nous donnant l’une des clés de son déchiffrement).
J’aurais également cité Michel Henry (1922-2002), pour qui l’art a comme vocation première de transcender le visible pour accéder à la source invisible de toutes choses (déjà vu lors des épisodes précédents, nous y reviendrons plus tard)…
Mais si je paraphrase les propos de Gaston Bachelard dans sa « Poétique de l’espace », c’est qu’il cite lui-même Léonard de Vinci, car « il conseillait aux peintres en déficit d’inspiration devant la nature, de regarder d’un œil rêveur les fissures d’un vieux mur ! » (p. 136).
Ainsi, en partant de choses simples, anodines, tout artiste doit pouvoir trouver un rêve, un fil conducteur qui va animer sa création, lui donner une force personnelle venant de son intérieur pour l’extérioriser et créer un autre univers.
Gaston Bachelard va donc situer son message entre le dedans et le dehors, le dedans tel celui de « La maison, ou la cave assimilée à la grotte »…
Et du « dedans » vers le « dehors » il n’y a qu’un pas (comme dans notre expérience du passage de la fissure, voir vidéo ci-dessous), pour franchir la frontière et partir en union avec le cosmos.
Car « la maison est notre première mère, notre premier univers » où nous sommes protégés comme le fœtus pour y vivre nos premières expériences de vie et y puiser force et énergie avant de nous envoler comme l’oiseau hors du nid (ce que nous allons faire dans l’action, où, symboliquement, le fardeau du sac et de ses servitudes portés dans notre escalade vont se métamorphoser en chrysalide déployant ses ailes pour permettre notre envol).
Il en est de même en art : il faut, par-delà l’éveil de notre rapport au monde au sein du sécurisant bercail de nos accomplissements premiers [ce passage étant incontournable dans les bredouillements de l’apprentissage de la vie – et pour nous de la peinture -, car il permet selon G. Bachelard d’accéder au rêve (« La poétique de l’espace » p. 24)], de changer de point de vue, de rechercher d’autres perspectives et de fixer plus haut ses objectifs, fournir des efforts, persévérer, créer et emprunterr des passerelles, franchir des surplombs, tendre vers la transcendance, avant de pouvoir s’envoler dans un autre univers qui est tout de lumière si on accède à la véritable création.
Rien à voir avec l’univers des paillettes et des « faux semblants artistiques » aussi « sonnants et trébuchants » soient-ils, même si la réussite sociale de quelques artistes plus chanceux mais sincères en est parfois la récompense matérielle ultime (pensée « émue » pour tous les opportunistes et imposteurs de l’art contemporain, l’aréopage de leurs promoteurs, courtisans, businessmans et braqueurs affairistes du marché de l’art).
Ce que j’évoque ici, dans le franchissement d’un seuil où la conviction de toucher à ce qui donne un sens profond à son existence en même temps qu’à sa création en éclairant la raison d’être de son propre cheminement avec la certitude d’avoir abouti, est, me semble-t-il, d’une autre noblesse…
C’est cela que je nomme « la magie de l’envol ».
Peu de peintres ou de sculpteurs (je ne prononce pas encore le mot de « plasticien ») ont le sentiment d’y parvenir s’ils sont honnêtes avec eux-mêmes, mais nul n’a le droit s’il veut dépasser le cadre d’une « peinture ou sculpture plaisante et jolie », …ou répondant aux sirènes des « tendances en vogue », d’ignorer ce chemin !
Pour nous, plus modestement, dans la vidéo ci-dessus, notre chemin nous emmène aussi à une certaine « magie de l’envol » (mettez-vous en plein écran, même si certains passages sont un peu flous à cause de la focale de nos petites caméras limitant le grossissement des images, cela vous permettra d’être davantage dans l’ambiance) !
En résumé :
Le premier épisode de « La parabole de Liaucous » est ici
Le second épisode de « La parabole de Liaucous » est ici
Le troisième épisode de « La parabole de Liaucous » est ici
Le quatrième épisode de « La parabole de Liaucous » est ici
Le cinquième et dernier épisode de « La parabole de Liaucous » est ici
micheline vaudenay
Ah ! que c’est beau cet envol, enfin délesté de son bagage. Passer dans la roche, monter, monter, et enfin s’envoler !! C’est une naissance complète.
Et je me dis que cela aurait été bien de t’avoir connu beaucoup plus tôt, Alain. Je crains de n’être obligée que de rester au stade « beau et gentillet » pour la peinture. Et pourtant, est-il possible à la presque octogénaire que je suis, de pouvoir trouver ce nouveau monde auquel tu nous fais faire connaissance ? Marcher, avec un lourd bagage, passer des paliers, s’enfoncer pour sortir à l’air, et, enfin s’envoler !!
Quel beau rêve en tout cas.
Merci de nous le faire faire.
Alain-MARC
Non, ne crois pas cela Micheline, tout est possible tout le temps ! Je ne parle pas de l’escalade ou du vol en parapente, mais de la peinture quand on a compris certaines choses qui permettent de transcender le réel en le traduisant à sa façon, même à travers un simple croquis aquarellé pleinement « vécu » sur le motif, comme on le fait lors de nos voyages et stages aquarelle. Tout, en fait, commence là, et on peut toute sa vie se satisfaire de ce premier accomplissement qui est déjà formidable. Ce qui veut dire que si on s’y est mis tard, c’est déjà un grand bonheur de s’élargir à cet horizon là, qui peut très bien nous combler en tant que tel, et c’est très bien ainsi. Mais on peut aussi dépasser ce stade et entrer dans des processus qui sont plus complexes et exigeants (ceux que j’évoque à travers cette série d’articles), qui doivent être plutôt la préoccupation des artistes qui font ou veulent faire un métier de leur art…
Paule
Ce n’est pas quelconque…. merci pour ces beaux témoignages !
Nicole Guenin
J’essaye désespéremment de passer un message, mais je vois que rien ne s’affiche, et ce, depuis le départ de la « parabole de liaucous ».
Pourquoi? Je ne le sais pas. Je n’arrive pas à passer l’obstacle! Est-ce un symbole personnel là aussi? car si j’arrive à porter le sac, je reste au bord de la passerelle, rivée au sol par la crainte, avec cependant le lancinant désir et besoin de traverser. Quant à l’envol, je regarde avec envie, essayant de concevoir le graal que cela peut représenter, A la réflexion je pense que si l’envol est l’ultime marche il n’est peut-être pas à souhaiter qu’il aboutisse quelque part. Rien n’est jamais fini, c’est une particularité et je crois un bonheur pour l’Humanité de ne pas savoir où la quête de notre vie s’arrête. Pour les autres rmarques il n’est pas utile que j’en écrive plus étant que je ne ferais que répéter ce qu’a fort bien écrit Micheline avec laquelle je suis en accord complet. Bises
Alain-MARC
Mais si, Nicole, tu vois qu’on finit bien par aboutir à quelque chose ! …Au moins ton commentaire est publié et il est normal qu’il ne soit pas apparu tout de suite car c’est à moi de le valider (si je n’ai pas été vérifier les commentaires pendant 2 jours, ils ne paraissent pas ^pendant 2 jours, mais rassure-toi ils paraissent toujours un jour ou l’autre. Quant aux différents symboles de ma petite série, je te réponds comme à Micheline : ne t’en fais pas non plus, car toute expérience que l’on tire d’une démarche créative est positive et nous nous rapproche d’une forme d’absolu. Les questionnements que je soulève s’adressent plus à des professionnels parce qu’ils ont la responsabilité d’ouvrir des chemins nouveaux et non pas de refaire ce qui a déjà été fait (même si c’est « en mieux » et avec un style personnel et une maîtrise technique parfaite). Créer c’est inventer, c’est pour cela que c’est si difficile si on veut le faire en touchant « l’âme » des personnes qui seront en contact de son œuvre. Aussi, faire quelque chose qui nous accomplit même en traduisant le monde tel qu’on « le voit » est aussi important, car c’est déjà être en chemin (consciemment ou non), de ce type d’expression dont je parle dans mes billets…
GIAUME Paul
Bonjour Marc
On est en 2020 et je viens seulement de découvrir la formidable et merveilleux montage vidéo de votre aventure LA PARABOLE DU LIAUCOUS.
Et mille merci une fois de plus de nous permettre d’entendre ,de lire et de voir tout le merveilleux qui émane de tes voyages dans notre belle Françe.
J’ai apprécié (en particulier) tes mot de Bachelard que j’avais découvert il y a quelques années par l’intermédiaire d’un ami sculpteur potier Ardéchois (que tu connaît peut être) Maurice CHAUDIERE ,qui m’a apporté une vision formidable sur la « créativité » au travers du passage de la matière au matériaux de toute chose.
Un GRAND MERCI encore pour tout ce que tu communiques autour de toi.
Avec toute mon admiration.
Paul
(je me suis permis l’utilisation du tutoiement dans le mail de ce jour)