La parabole de Liaucous, 2ème épisode

Du symbole de la passerelle à celui du surplomb.

« C’est du côté du poète et du philosophe qu’on trouve la communauté d’objectif à laquelle l’artiste participe. Leur principale préoccupation, comme celle de l’artiste, est d’exprimer sous une forme concrète leurs notions de réalité. »

Mark Rothko

Et encore :

 « (…les principales modalités du rapport de l’art à la réalité).

Par ce rapide chemin théorique, je voudrais ainsi faire l’éloge du chemin lui-même. Parce qu’il nous apprend le sens de la patience, de la médiation, du décentrement, de l’inquiétude face à l’étrange et face à l’étranger, le chemin nous donne le sens de la réalité. Car c’est en reconnaissant l’extériorité, l’opacité et la rétivité de la réalité à laquelle nous nous affrontons et par laquelle nous devons nécessairement passer que l’on échappera sans doute aux illusions du narcissisme. Si le narcissisme consiste à penser la réalité extérieure comme une réalité intérieure qui ne se sait pas comme telle, alors l’art et la philosophie (mais aussi la science et sans doute d’autres activités) seront les plus sûrs moyens de sortir de ses illusions. » [1]

Pierre-Henry Frangne, « L’art et la réalité du réel ».

Nous avons vu dans l’épisode précédent au cours de notre randonnée vers la via ferrata de Liaucous (et en même temps que je commençais à visionner en mémoire l’année passée), que toute chose pouvait être expérimentée différemment de nos perceptions et émotions premières, pouvant même être vécues comme un champ d’expérience artistique, créative, applicable dès l’évocation de son concept à l’acte pictural comme aux autres actes de la vie.

La rétrospective de l’année 2018 qui se déroule dans mes pensées tandis que je progresse avec mes camarades dans notre parcours, ses enseignements, fait partie des expériences qui vont déterminer mes choix et orientation d’existence pour 2019…

Nous savons combien l’attribution de symboles aux éléments, évènements et charges conditionnant notre existence, peut parfois nous aider à les appréhender sous un jour nouveau.

Le sac, par exemple, servitude aussi lourde soit-elle, pouvant se révéler porteuse de sens, ou la montagne qui, par-delà l’effort nécessaire pour la gravir, modifie la notion du temps et nous aide à changer de point de vue suivant notre position au fur et à mesure où on s’élève.

Ainsi en est-il de la création artistique à travers l’acte pictural : on doit, si l’on veut sortir des sentiers battus, ouvrir des voies nouvelles, changer de position et s’élever par rapport à une représentation conventionnelle du monde (quand bien même serions-nous de grands maîtres réalistes et ce que nos réalisations soient d’excellente facture), se remettre totalement en question, et s’engager sur des voies différentes de ce qui a déjà été fait.

On doit se méfier grandement de ce que l’on fait, surtout si c’est considéré par les autres comme un chef d’œuvre.

Ce n’est que de cette façon-là qu’on pourra se détacher des apparences et du visible pour s’approcher du réel, pour le révéler (sinon le «matérialiser», ou au moins le rendre perceptible) dans l’espace du tableau.

Mais qu’est-ce que le « réel » ?

Si certains croient que pour le peintre ce n’est que le fruit de son imagination ce n’est pas le cas pour moi, c’est même bien autre chose, car c’est de ma propre notion de la réalité qu’il s’agit quand j’évoque le réel : une réalité voilée par les apparences du monde visible, faite de vibrations et de mystères, de signes à déceler dans ce que nous ressentons, dans ce que nous percevons de l’observable, qui est à interpréter, à traduire par notre peinture, à rendre tangible pour autrui.

Une fois trouvé le langage pour y parvenir, il faut créer des passerelles pour permettre au plus grand nombre d’emprunter le passage. Et là, l’équilibre est fragile…

Car une passerelle est le lien entre deux mondes qui sans elle, ne seraient jamais reliés.

Mais la passerelle n’est rien dans les variantes du franchissement : pour le surplomb, c’est une autre affaire !

Alain MARC

P.S. : [1] Je vous invite vivement à lire (et approfondir) la conférence donnée le jeudi 3 mai 2007 à l’École Régionale des Beaux-Arts de Rennes par Pierre-Henry Frangne maître de conférences en philosophie de l’art en suivant ce lien, et prenez le temps de lire (et relire) les différentes références des sources annexes.

Pour bien profiter de la vidéo (comme si vous étiez avec nous), double-cliquez sur son image ci-dessus pour la lancer en plein écran (recommencez une fois lancée si elle ne s’est pas mise en plein écran du premier coup) : vous l’aurez alors en haute définition sur votre ordinateur ou tablette. Pour sortir du plein écran, c’est avec la touche « Esc » de votre clavier ou en cliquant sur le pictogramme « Réduction d’écran » en bas à droite de l’écran en dessous du « A » de mon logo.

En résumé :

Le premier épisode de « La parabole de Liaucous » est ici

Le second épisode de « La parabole de Liaucous » est ici

Le troisième épisode de « La parabole de Liaucous » est ici

Le quatrième épisode de « La parabole de Liaucous » est ici

Le cinquième et dernier épisode de « La parabole de Liaucous » est ici

20 Responses

  1. Adrienne Gohy
    | Répondre

    Bonjour Alain, J’adore peindre sur le motif, mais je dois vous avouer que je me contente des sentiers battus…..
    Je suis admirative de vos activités de peintre et de sportif !!

    Merci pour vos vœux que je réitère sincèrement.

    Adyne

    • Alain-MARC
      | Répondre

      Mais c’est également très bien Adine ! Comme je l’explique dans mon billet, tout est question de sa propre notion du réel et du prolongement qu’on peut au travail sur le motif à une éventuelle transposition en atelier, sans compter que le travail sur le motif peut aussi être une fin en soi ou au moins être extrêmement utile autant qu’accomplissant dans son interprétation personnelle du monde, comme on le verra dans le dernier épisode de « La parabole de Liaucous » !
      Merci beaucoup pour vos bons vœux, je vous renouvelle les miens.

  2. Jacline
    | Répondre

    Hello Alain ! Quel exploit …. j’en ai le vertige !
    Ta rétrospective 2018 est tout autant vertigineuse et tu sais franchir les passerelles avec un équilibre bien maitrisé…
    Merci pour tout ce que tu nous apportes ….
    Encore une merveilleuse année à toi !
    Jacline

    • Alain-MARC
      | Répondre

      Merci Jacline, mais tu sais une via ferrata ce n’est pas un exploit, ce n’est même pas de l’escalade, c’est juste une balade (qui devient un peu plus dure c’est vrai tant avec l’âge, qu’avec une charge de plus du tiers de son propre poids sur le dos), et c’est à la portée de plein de gens (sans gros sac à faire suivre), même si certaines variantes du parcours sont bien plus athlétiques. Par contre oui, le marathon de l’enchaînement de toutes mes activité sur l’année depuis des décennies est quelque chose qui est très difficile à gérer, il faut une réelle énergie car je n’évoque pas dans mon raccourci des tas d’autres activités qui s’enchaînent à une cadence folle et qui m’amènent à dormir très peu si je veux toutes les mener à bien (ne serait-ce que ma peinture d’atelier assez exigeante en temps et complexité de réalisation quand je suis chez moi, la conception de mes livres dont j’assume seul l’entièreté de la conception jusqu’au seuil de l’étape « imprimerie », etc.)…

  3. Nicolas globe croqueur
    | Répondre

    Bonjour Alain.

    Tu déclares : « On doit se méfier grandement de ce que l’on fait, surtout si c’est considéré par les autres comme un chef d’œuvre ».

    Je dirais plutôt « Même si les autres coïncidèrent que ce que l’on fait est un chef-d-oeuvre, passé le plaisir de la satisfaction qui contribue à l’encouragement, il faut savoir toujours se remettre en question pour progresser, sans pour autant dénigrer ce que l’on vient de faire ».

    Tout dépend aussi qui sont « les autres » qui peuvent être, et qui sont, pour la plupart plus des amateurs éclairés pétris de (très) bonnes intentions, que des professionnels dans le domaine dans lequel on exerce.

    Pour ma part, venant de mettre en ligne ma deuxième publication de l’année

    (http://croqueurdenature.blog.lemonde.fr/2019/01/12/remi-sans-famille-le-film-2018/),

    je revois la dernière aquarelle que je trouve un peu trop figée dans mes personnages et « image d’Epinal » qui peut être un effet recherché mais que je n’avais pas forcément prévu.

    On progresse par « paliers », que ce soit en aquarelle ou autres activités, et plus on évolue, plus on se rend compte de l’immensité du savoir à acquérir. Bonnard, à la fin de sa vie, confiait à un jeune peintre la réflexion suivante sur l’évolution de sa peinture : « Ce n’est que maintenant que je commence à comprendre, il faudrait tout recommencer »

    • Alain-MARC
      | Répondre

      Oui, exact Nicolas, mais si j’ai un peu exagéré dans « la méfiance » qu’on doit avoir de ce qu’on fait, c’est simplement pour m’adresser aux plus sûrs (et surtout prétentieux, c’est ceux-là que je vise) d’entre nous qui s’imaginent avoir inventé la poudre en ne tenant compte ni de l’histoire de l’art, ni comme tu le dis fort bien en citant Bonnard, de l’engagement dans la durée et de l’humilité que doit représenter une véritable « quête picturale » !

      • Je viens de voir un film que j’ai adoré : « Au bout des doigts » (http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=259834.html) qui traite de l’excellence dans l’univers de la musique avec notamment une professeure de piano interprétée par Kristin Scott-Thomas qui s’inscrit très bien dans l’engagement de ce qui est pour elle une « quête musicale ».

        • Alain-MARC
          | Répondre

          Oui, Nicolas, c’est un peu de cela qu’il s’agit (entre parenthèse ce film est un beau film). l’engagement : c’est essentiel pour qui veut aller jusqu’au bout, j’en parle dans le 3ème épisode de « La parabole de Liaucous ».

  4. micheline vaudenay
    | Répondre

    salut Alain
    J’aime bien être avec toi, mais là, je te laisse marcher sur ton fil….. J’en ai la tête qui tourne ! Rassures moi : au Portugal, il n’y aura pas de via ferrata ??? Je plaisante, mais tes métaphores sont bien fortes. A notre niveau également nous pouvons mettre des passerelles dans notre vie pour nous permettre d’évoluer. Et surtout avancer par paliers. Et espérer qu’il y aura toujours des paliers supplémentaires à franchir. Cela voudra dire qu’il y aura toujours de la vie.
    Allez, vite, la suite de ta réflexion !!!
    N’oublie pas de te reposer de temps en temps, nous avons tous besoin de toi.
    Bises

    • Alain-MARC
      | Répondre

      Oui, bientôt la suite, j’ai fait beaucoup de rapprochements entre les choses lors de cette randonnée,mais le montage est long car je fais en même temps mille choses (comme d’habitude), mais tu verras, les enseignements tirés de cette expérience sont finalement assez évidents bien qu’on n’y pense pas toujours…

  5. pouponnot lydie
    | Répondre

    et bien… tu m’impressionnes encore Alain.. Quel voyage. C est vraiment magnifique

    • Alain-MARC
      | Répondre

      Merci Lydie, grosses bises !

  6. véronique arnauld
    | Répondre

    petit film toujours intéressant mais votre route « hors des sentiers battus » me donne parfois le vertige, même devant mon écran… C’est impressionnant, vous êtes impressionnant… Je vous souhaite une très belle nouvelles années avec des milliers de découvertes…

    • Alain-MARC
      | Répondre

      Merci Véronique ! Vous savez, c’est quand on est reliés au sol qu’on a le plus le vertige, mais quand on est en l’air c’est moins impressionnant (même si c’est parfois assez effrayant quand on est très haut ou proche de certains nuages)…
      à bientôt pour la suite !

  7. Hélène Py
    | Répondre

    Merci pour vos vœux , ces réflexions qui nourrissent, ces vidéos et les commentaires de tout le monde. Ceux qui font mille choses à la fois sont des passionnés; difficile de les suivre parfois, mais prenons-en de la graine….

    • Alain-MARC
      | Répondre

      Oui, c’est vrai Hélène, et vous voyez, le plus dur pour nous quand on est comme cela, c’est qu’on est souvent « décalés » par rapport à ceux qui essaient de nous suivre, avec parfois l’impression de ne pas être compris …

  8. Armelle
    | Répondre

    Merci pour cette belle réflexion, sur l’art et sur la vie.
    Le chemin, le poids du sac, le surplomb, l’équilibre, la passerelle… autant de pistes de réflexion sur le chemin de la vie.
    J’habite en Bretagne sud, j’ai des chambres d’hôtes. Pourquoi pas un stage ici?
    A bientôt et encore merci.

    • Alain-MARC
      | Répondre

      Merci à vous pour votre commentaire Armelle, je prends contact avec vous par e-mail pour mieux voir vos possibilités d’accueil la Bretagne sud étant une très belle région, vous verrez que c’est assez compliquées en ce qui concerne mes groupes car il faut beaucoup de chambres individuelles, et d’autres contraintes d’accueil qui me sont très spécifiques, mais je vous encore merci pour votre passage ici.

  9. Elizabeth
    | Répondre

    Ouille, ouille, ouille! La passerelle! Je crois que je ne t’y suivrais pas, je préfère la passerelle symbolique… Belle façon de faire une rétrospective d’une année bien chargée.
    Je suis fort loin d’être une artiste comme toi et j’ai parfois un peu de mal à suivre tes réflexions et citations, mais c’est toujours un plaisir de te lire et d’essayer d’aller « plus haut »!
    Merci et porte-toi bien.
    Amitiés

    • Alain-MARC
      | Répondre

      Merci Elizabeth, tu me connais : souvent, ce que je dis (ou écris), est à plusieurs lectures et la première est toujours un peu hermétique, raison pour laquelle il faut prendre du temps pour tout relire tranquillement (des fois phrase par phrase), hors personne n’a le temps de nos jours d’approfondir, mais si on arrive à le faire on découvre que la première lecture (enfin j’espère) cache un sens plus profond (rôle du symbole), et ainsi sur généralement deux ou 3 « niveaux » différents. Raison pour laquelle il est parfois difficile de me suivre (et quelquefois au propre autant qu’au figuré) !

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