Il ne s’agit pas seulement du simple sentiment d’échapper à l’emprise du temps pendant la réalisation sur le motif de son carnet de voyage, même si cette impression ressentie par la plupart des carnettistes fait partie de la représentation mentale beaucoup plus importante et profonde, que j’aborde dans ce premier billet concernant ce sujet.
Non, dans le concept qui nous intéresse ici, il s’agit de bien plus que cela, au moins d’un véritable archétype, ce qui en fait autant la rareté que la méconnaissance.
– Mais pourquoi donc ?
Parce que cette notion d’intemporalité ne peut s’exprimer que lorsqu’il y a connivence entre la destinée personnelle du carnettiste, son histoire singulière, et une conjonction d’évènements et de circonstances particulières qui le plongent dans une dimension spatio-temporelle échappant à la chronologie du déroulement de son existence, tout en la concernant vivement.
Cette dimension (qu’il va retrouver plusieurs fois dans sa vie, non pas comme plusieurs évènements discontinus, mais au contraire comme la suite d’un scénario unique) lui apportera (entre autres), les réponses aux plus existentielles questions qu’il pourra se poser.
Oui, je sais, nous abordons là un sujet d’ordre philosophique (voire métaphysique) qui demande un développement bien plus vaste (j’y reviendrai, vous verrez comme c’est passionnant), mais qui (ne serait-ce qu’avec cette première approche), risque de transformer complètement votre concept du carnet de voyage en donnant un sens différent à votre vie.
Alors, plus qu’un long discours, permettez-moi d’en partager un fragment avec vous…
C’était il y a pas mal de temps déjà, un soir d’automne lumineux et chaud comme ils le sont si souvent en Aragon.
Je dessinais les vieux murs et les balcons dominant l’ancestrale place du village où s’étaient réunis la plupart des habitants autour d’un orchestre donnant un concert.
Non pas un concert solennel et guindé tel qu’on en voit parfois lors de nos festivals d’été, mais un moment de musique simple, amical et festif, où les enfants jouent autour des musiciens, où on vient écouter depuis les fenêtres et les balcons tapas et verres d’apéritifs à la main, où les moineaux sous les toitures continuent de piailler et les chiens dans les rues d’aboyer.
Tandis que je dessinais, le petit orchestre se mit à interpréter «España » (la fameuse rhapsodie d’Emmanuel CHABRIER), et je vis alors les vieux balcons ajourés, les toitures et les façades colorées se mettre à danser, tandis que les grandes murailles mauresques renvoyaient en écho la mélodie comme filtrée de la voix lointaine d’une ancienne galette de 78 tours !
Non, je n’étais pas sous l’emprise de quelque « rosado Somontano de Barbastro » (si prisé à l’heure des tapas dans les bodegas de la région), et je découvris soudain que le parcours qui m’avait ramené jusqu’ici (où j’étais déjà passé enfant accompagné par mes parents lorsque nous descendions en Andalousie) n’était pas seulement un itinéraire dans l’espace, mais aussi une incursion dans le temps.
Ou plutôt, un voyage « hors du temps présent » où tout prenait un sens nouveau, les parois ocres des canyons se transformant en murailles mauresques, les étapes de mon enfance se prolongeant par celle ici, les gens aux fenêtres et balcons devenus familiers comme si nous nous connaissions depuis très longtemps…
C’est ainsi que je compris avec quelle subtilité le Destin place d’étranges repères sur le cheminement de notre existence comme s’il voulait nous mener quelque part.
À nous, de découvrir le sens de ces jalons intemporels, où notre raison d’être prend une autre dimension en empruntant les indices immatériels puisés dans ces instants, jalons si importants et significatifs lorsqu’ils se servent de nos aptitudes artistiques pour nous aider à mieux voir et écouter le monde, en nous donnant des clés pour découvrir derrière les apparences le langage secret de la vie.
Et pas seulement d’en être les immobiles « spectateurs », puisque c’est bien de notre unique et précieuse vie qu’il s’agit !
Je faisais donc régulièrement du « carnet de voyage intemporel » sans le savoir depuis mon enfance comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, puisque je venais de mettre bout à bout chaque instant d’intemporalité pour voir se dessiner la fresque d’un voyage bien plus passionnant et mystérieux que celui que j’étais en train de réaliser sur le papier avec crayons, pinceaux et couleurs…
Je vous raconterai une autre fois ce qui fait la différence entre un banal carnet de voyage (aussi beau soit-il même réalisé à l’autre bout de la terre), et ce genre de carnet intemporel qui ne se termine qu’à la fin de son existence.
Si vous m’avez lu jusqu’ici, c’est que vous êtes déjà différents (es) de toutes ces personnes qui « zappent » quand elles voient que c’est trop long, hors, les belles choses ne se font pas sans s’en donner la peine ou le temps.
Je reviens en Aragon en septembre prochain pour y animer une session itinérante de carnet de voyage aquarelle, où nous passerons par la petite place de ce beau village chargé d’histoire. Il n’y aura certainement plus l’orchestre local jouant «España » sous les balcons de bois, mais je sais que vous percevrez là l’une des plus belles pages de l’extraordinaire et merveilleux Aragon !
Stage carnet de voyage aquarelle « Fabuleux Aragon » du 10 au 17 septembre 2018, renseignements auprès d’Alain MARC.
Dany
Je te comprends Alain, il y a des lieux où on ne dessine pas pour « remplir » une page de carnet mais parce qu’on se sent motivé par une harmonie profonde avec l’endroit. Dans ce cas l’aquarelle est souvent plus belle parce que naturelle, moins travaillée et cela ne se produit que sur le motif. Amitiés
Alain-MARC
Je savais Dany, que tu comprendrais ce que je dis, car ce que tu fais est dans cet esprit de connivence avec les lieux, les gens et toutes ces choses immatérielles qui font qu’on ne fait pas seulement un « carnet de voyage » mais « autre chose » de bien plus important !
EXSHAW MICHELE
quel plaisir mon cher Alain de recevoir tes « billets »!!!!
billets plein d’amitié et de philosophie …..
c’est avec le temps ,ce temps qui passe si vite plus on avance dans la vie que l’on ressent ce
besoin de retrouver des moments merveilleux que l’on croyait a jamais enfoui au plus profond
de nous même….tu es un magicien !!!! merci Alain
Alain-MARC
Merci Michèle, oui, tu vois, parfois le carnet est bien plus qu’un simple carnet de voyage!
Nicole Guenin
merci Alain pour cet avant-goût prometteur de l’Aragon. Je comprends que cet endroit fasse remonter en toi des souvenirs puissants mêlés au sentiment terrifiant du « temps » qui passe. Je me ferai des « souvenirs d’Aragon » comme je me suis fait avec toi des souvenirs du Maroc, d’Espagne, du Portugal et d’autres ailleurs, où même si je n’avais pas de mémoire des lieux puisque les découvrant pour la première fois, l’imaginaire a pu en quelque sorte recréer un passé dans lequel j’étais fortement présente ce qui a permis au présent de se fondre dans quelque chose en moi qui avait peut-être existé et qui n’était plus. C’est à la fois exaltant et douloureux, mais d’une douleur apaisée et vivifiante pour le corps et l’âme. Alors j’attends avec impatience ces moments que tu sais si bien nous faire partager avec le groupe et ces moments précieux que l’on garde pour soi et que l’on aimerait tant pouvoir exprimer dans son carnet de voyage! C’est aussi comme cela que je conçois le « carnet » que je dirais plutôt « de route », car c’est bien une « route » personnelle que l’on cherche, que l’on suit et que l’on partage. N’est-ce pas cela qu’on appelle « une vie »?
Bises
Alain-MARC
Tout à fait Nicole, c’est pour cela que je ne peux plus faire pour moi-même un carnet pour le simple « plaisir du carnet », et que je ne veux plus partager avec vous que des découvertes dont l’histoire particulière symbolise des « racines retrouvées », (un arbre sans racines n’existe pas ; même les arbres morts ont des racines) !
Nicolas globle croqueur
Effectivement, on sent le besoin, parfois, de vouloir traduire graphiquement un instant, sans forcément l’avoir prévu, c’est à dire sans avoir prévu d’emporter avec soi un carnet, un crayon et des aquarelles. Alors, parfois, il faut improviser, comme dessiner et peindre sur du papier que j’appellerai « merdique », c’est à dire pas prévu pour de l’aquarelle, d’ou la nécessité d’un seul coup de pinceau sur lequel on ne revient pas. Pour pousser encore plus dans l’improvisation, utiliser le café, le vin rouge ou les pigments que la nature nous offre, ou alors, dessiner sur le sable de la plage ou sur de la terre glaise, comme l’a fait, il y a quelques temps, feu Dominique Armilhon en Provence. Pour pérenniser ce travail éphémère, ne pas oublier l’appareil photo.
Alain-MARC
Exact, tu as raison Nicolas !
Nicole Guenin
Eh bien pour clore cette conversation tenue en quelque sorte en public, le reste étant de l’ordre de l’intime, l’intime pouvant être partagé avec quelques personnes – ce que l’on appelle les affinités électives – je suis sûre que nous aurons l’occasion de poursuivre cet échange dans un avenir proche. J’ai adoré la « parabole » de l’arbre!…
Quelle chance j’ai eue de te rencontrer, toi, Michèle et nos amis communs, tu as exactement répondu à ce que je cherchais…
La route d’Aragon m’attend, je ne sais pas encore ce qu’elle me réserve, mais je sais d’avance que ce sera « riche »,!
A bientôt. Bises
Alain-MARC
Merci, c’est très gentil, je te réponds justement d’Aragon où je fais les dernières vérifications avant notre stage. Je suis persuadé que ce stage plaira à tout le monde mais tout en essayant d’être le moins fatigant possible il le sera quand même un peu car certaines étapes vont être longues, et jusqu’à présent aucun des superbes villages où on passera ne sont particulièrement plats, je vais essayer de faire au mieux pour que chacun en profite pleinement. Il y a tant de choses magnifiques que heureusement on garde les principales en choisissant dans celles qui restent les moins fatigantes !
micheline vaudenay
Tout cela me donne encore plus envie de partir… Je n’ai pas entièrement compris ce que tu voulais nous faire passer avec cette notion d’intemporalité, mais j’y penserai bien fort en septembre. Les commentaires que je viens de lire m’éclairent un peu avec la nécessité de dessiner quelques fois quand elle arrive; Pas pour dessiner vraiment mais pour garder une trace. de quoi ? Vivement l’Aragon pour y voir plus clair.
Alain tu nous mets l’eau à la bouche. Comme pour Nicole, je ne sais pas ce que ces moments me réservent, mais je sais qu’ils seront « magiques ».
Bises et à septembre.
Alain-MARC
Merci Micheline. Là je rentre justement d’Aragon où je suis resté assez longtemps pour tout bien préparer, et d’où je viens dévaluer les temps de trajet qui nous séparent de chaque site majeur, mais, même s’ils sont plutôt longs car ces sites sont éloignés les uns des autres, je garde le programme tel que je l’avais pensés dès le début, car tu verras, ces coins sont effectivement magiques, pour ne pas dire « fascinants » et c’est bien cela qui compte le plus.
Quant à cette fameuse notion d’intemporalité j’y reviendrai, car c’est une notion liée à des facteurs et circonstances si particuliers qu’il est rare qu’on puisse la vivre souvent en voyage, même si quelquefois (comme j’espère que ce sera en Aragon) on peut au moins (de manière généralement fortuite) s’en rapprocher…
Jane GUY
Tu as si bien exprimé ce sens des paysages familiers qui nous renvoient à de lointains souvenirs et états d’âme.
je pense aussi retrouver en Aragon en septembre ces correspondances avec mes paysages si lointains d’ Afrique du nord ou je suis née.
Alain-MARC
Merci Jeannine, je pense que tu les retrouveras ! En attendant, je publierai sans doute d’autres articles qui nous en rapprocheront…
Un super stage d’aquarelle en Provence… - Alain MARC
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