Vous voici donc tous réunis dans la jolie ville de Faro, pour démarrer ce stage de « la route du bleu ». C’est vers la vielle ville que vous emmènent vos pas en m’accompagnant, et c’est à l’entrée de la rue da Porta Nova, qui passe sous l’arche de ladite porte, que vous vous arrêtez pour un premier croquis aquarelle rapide et synthétique, prétexte à aborder le rendu des ombres.
Vous avez devant vous la rue en perspective frontale, avec au fond le passage couvert du porche en arcature de la Porta Nova.
Le croquis sera très vite réalisé (on peut même s’en passer si on dessine directement avec le pinceau, il suffit d’être précis dans les proportions en ce cas), mais ce qui vous intéresse, ce sont les ombres ici très colorées, et dont il va falloir traduire toutes les nuances en quelques minutes seulement, si vous voulez dans votre motif être fidèle à la luminosité et à la gaîté de cette rue.
Or, tout le monde sait qu’une ombre est composée de la tonalité la plus sombre de l’objet, la complémentaire de cette tonalité, et du bleu (couleur généralement liée à l’absence de lumière).
Exemple pour obtenir la couleur de l’ombre d’un objet vert : mélanger un vert un peu plus sombre que le vert initial avec une petite proportion de rouge (complémentaire du vert qui va aussi en rompre l’acidité) + un peu de BLEU, et vous obtenez la couleur de l’ombre de cet objet vert.
Tout dépend encore si c’est d’ombre propre de l’objet (envers de l’objet par rapport à la lumière) ou d’ombre portée par un obstacle aux rayons lumineux sur cet objet, mais pour cette fois restez simples, et considérez que ce sont les mêmes principes que vous appliquerez dans les deux cas : composition classique de l’ombre des objets que vous voyez, c’est-à-dire les murs blancs ou colorés de cette rue et du passage du fond.
1) Observation (analyse du sujet à réaliser très vite, du premier coup d’œil si vous avez l’habitude) :
a – Le ciel est bleu, le soleil brille, donc, pour tout ce qui est blanc (murs blancs à l’ombre) et sans interférence d’objets colorés proches éclairés par le soleil (qui peuvent se réfléchir sur l’ombre de l’objet blanc), l’ombre sera d’autant plus bleutée que l’objet sera blanc.
b – Pour un mur coloré dans l’ombre (un mur ocre-jaune par exemple), vous appliquerez le principe de base de préparation de couleur de l’ombre de ce mur, surtout si aucun objet proche de couleur différente ne vient par réflexion de la lumière sur cet objet, modifier la couleur initiale de l’ombre du mur que vous voulez peindre.
Par contre, s’il y a à côté ou en face de ce mur qui est à l’ombre un autre mur (ou porte, ou objet volumineux) d’une autre couleur et qui s’y réfléchit dessus, la couleur de son ombre va en être modifiée par la couleur de ce (ou ces) objet (s).
Alors, si vous ne comprenez rien à ce que je vous explique ne vous en faites pas, et observez, observez, observez ! Puis comparez les différentes couleurs (et valeurs) de l’ombre de votre mur à différents endroits et cela vous sautera aux yeux !
2) Réalisation : préparation des couleurs sur la palette et sur le papier simultanément en mélanges francs ou rompus, travail rapide, spontané (grand format exclu, si non : taille pinceaux adaptée au format, papier tendu et temps de travail généralement bien plus long !), donc, préférez un petit format !
Ci-dessous la vidéo de mon interprétation carnettiste de ce sujet expliquée sur le motif, tel que je le partage avec vous en toute liberté, rapide, et sans complications :
3) Pour résumer, avant de continuer votre voyage au sud Portugal, voici quelques exemples d’ombres jouant un rôle important dans certaines de mes aquarelles plus ou moins abouties (selon que j’avais du temps devant moi pour peindre, ou pas du tout).
Souvenez-vous qu’en carnet de voyage, si la scène qu’on veut saisir sur le motif est trop rapide pour être peinte, on en fait vite une photo si on peut, on se remet vite sur son carnet dans la foulée (ou on ne fait pas de photo quand on est entraîné) en commençant par le croquis de ce qui va disparaître, et on en note les couleurs avant que le sujet ait disparu (ou de mémoire juste après, car, si on n’a pas eu le temps de mettre les couleurs on le fait de mémoire dans l’instant) puis on aborde les couleurs du décor autour en n’insistant pas (sauf si nécessité de mise en valeur du sujet, et ne ressortir la photo que pour certains détails trop confus si indispensables : il vaut mieux avoir un travail sur le motif inachevé, mais spontané, que trop fouillé et statique).
Ombre bleue portée sur la neige par la maison : ciel bleu et aucune réflexion d’objets d’une autre couleur à proximité sur cette neige, son ombre est donc bleue, penser par contre à respecter sa valeur en observant bien, l’ombre n’ayant pas partout la même valeur (explications développée pour la neige lors des stages aquarelle « ambiances et paysages de neige en Jura oriental).
Comme exemple précédent : ombre bleue portée sur la neige par les arbres, ciel bleu et aucune réflexion d’objets d’une autre couleur à proximité sur cette neige, son ombre est donc bleue (stages aquarelle « Ambiances et paysages de neige en Jura oriental »), l’ombre propre des murs de la cabane est grise légèrement bleutée, car l’ombre du gris neutre des planches reste grise (mais un peu plus foncée + un peu de bleu).
Très rapide croquis d’un dôme de mosquée (stage « Tunisie intime » 2002) : l’ombre propre des murs blancs est bleue comme pour la neige, car le ciel est bleu, et aucune réflexion d’objets d’une autre couleur à proximité des murs ne vient en modifier la couleur .
Ici, l’ombre propre des murailles de Taroudant (stage « Sur les pistes du Grand Sud » Maroc 2013), qui obéit à sa couleur d’ombre « classique » (teinte des murailles ocre-orangé en plus foncé + complémentaire bleue violacée + bleu), est passée en glacis transparent (pour en conserver la lumière) par-dessus la teinte initiale des murailles.
Puisque nous sommes au Maroc dans ces exemples, cette petite aquarelle de synthèse en contre-jour, pour dire qu’on peut faire ressortir la lumière presque éblouissante d’un lieu (place des épices à Marrakech), uniquement en accentuant les contrastes par les jeux d’ombre, et en n’utilisant pour la traduire qu’un bleu sombre (ici outremer foncé à indigo) nuancé d’un mélange ternaire composé de la dominante de toutes les autres couleurs (ici un brun ocre à ocre-orangé, pour réchauffer le bleu).
Un autre contre-jour, un peu plus complexe, où le rôle des ombres est essentiel : « Le dromadaire au chariot » .
Une image de pur orientalisme saisie lors du stage aquarelle de voyage du Rajasthan en 2013. Ici, ce n’est pas « une » mais « des » ombres qui sont à traiter simultanément lors d’un instant de totale magie. Le temps paraît être suspendu quand le dromadaire tirant ce chariot s’est soudain arrêté pour brouter le feuillage d’une haie dans le contre-jour d’une porte monumentale. Dans ce cas-là, il n’y a pas 1 mn à perdre : on laisse tomber ce qu’on faisait, et on croque immédiatement le chariot, ses occupants, et l’animal qui tire l’attelage. Travail à faire d’autant plus vite que l’un des passagers du chariot se demande bien ce que vous êtes en train de dessiner ! Le décor est esquissé en même temps que le croquis du chariot pour en traduire les proportions, puis peint une fois que le chariot est reparti. Les murs de la porte étaient grenat / violines à ocre-orangé, le sol sablonneux, très clair.
Pour terminer cette réflexion (au propre et au figuré) sur les ombres : ce détail de « De la Roche Faurio » (aquarelle de montagne de grand format réalisée en plusieurs séances), pour conclure que si les ombres (propres et portées) d’un objet entièrement blanc (ou ensemble d’objets blancs comme ici, les séracs de la face nord de la Barre des Écrins) restent en nuances bleu quasiment pur, l’ombre propre d’objets colorés dont la matière réfléchit la lumière (comme les doudounes des alpinistes qui admirent le paysage), est bien plus complexe à traduire. Il faut, là aussi, parfaitement observer.
Conclusion : mieux est faite l’analyse du sujet, plus rapide et plus juste est sa réalisation !
À bientôt, pour la suite de notre voyage au Sud Portugal, avec d’autres passionnants sujets à traiter…
micheline vaudenay
Ouf ! Quelle leçon ! Et maintenant je n’attend qu’une chose : du soleil ! Ici dans le Nord, je ne sais pas qui l’a piqué, mais on ne le voit pas, mais tout est gris. Pas d’ombre !! Vivement Faro !!
Merci Alain pour cette leçon.
Alain-MARC
Si c’est comme dans ma vidéo, on devrait même avoir assez chaud !
Chrystelle Marie
Je me souviens du moment où tu as aquarellé ce passage de Faro. Souvenir, souvenir excellent souvenirs . Merci pour ton explication sur les ombres. Amitiés
colette
merci, merci pour cette leçon!!
sûr qu’il va falloir s’entraîner pour réussir ce tour de main!!
Alain-MARC
Pour te répondre Colette, (et pour toi aussi Chrystelle, oui, c’est un beau souvenir !), je dirai qu’en fait, même si la problématique des ombres paraît très complexe, elle est en fait très simple :
1) – hors terrain : c’est dans l’observation de l’ombre traitée par les grands peintres et les meilleurs aquarellistes qu’on va comprendre la façon générale de faire une ombre « réussie »,
2) – sur le motif : c’est dans la méthodologie particulière de l’analyse du sujet (et donc de l’ombre) que cette ombre sera facile à interpréter (en tenant compte des enseignements du « hors terrain »)
gaullier jacqueline
merci Alain
Anne-Marie
Merci pour cet article fort interressant. J’en retiens pour moi le ptincipal: ombre portée : couleur de l’objet +complementaire+bleu. Merci
Nicole Guenin
Le chariot et le chameau dans la ruelle était peut-être un instant de magie, mais ton aquarelle est magique! on entend le craquement des feuilles dans la gueule du chameau et le bruit des roues du chariot sur le sol, et il fait chaud. Mais comment fais-tu???? La leçon est super et cela paraît effectivement si simple! alors exercices en vue d’ici le mois de juin, mais pour trouver de belles ombres là où je suis, ce n’est pas sur le motif que je vais aller les chercher, mais sur une vidéo ( heureusement qu’on les a) et si on prend soin d’en choisir une d’un voyage qu’on a fait, on revoit tout, on entend tout et on sent tout! magie du voyage où l’on exerce tout ses sens, magie d’un voyage avec… Alain Marc! vivement Faro. Bises
Alain-MARC
C’est trop gentil, Nicole !
En fait, tu vois, c’est à force de pratique qu’on finit pas traduire des choses « indéfinissables »… Surtout, ne jamais se décourager, même si on est parfois déçu de ce qu’on fait, c’est le 2ème atout de réussite, qui finit toujours par payer un jour !
Catherine bouvier
Bonjour Marc,
Un grand merci pour cet article que j’ai lu passionnément! Il donne tellement envie d’expérimenter et c’est certainement la clé pour progresser!
Parmi tous les exemples traités, tous sont intéressants: j’ai eu un coup de coeur pour deux d’entre eux: la ferme comtoise (étant originaire du Doubs où j’ai eu l’occasion de séjourner souvent, j’y ai énormément de souvenirs……) et le dromadaire au chariot (l’évocation est magnifique, il ne manque rien, je suis pleine d’admiration).
J’ai hâte d’être à Faro, je suis sûre que je vais beaucoup apprendre en vous écoutant. Bonne continuation d’ici là, amitiés.
Catherine
Alain-MARC
Merci Catherine,
Oui, la chose la plus importante est d’expérimenter ! Voir et comprendre sont une chose, pratiquer la plus importante. C’est la chose qui vous permettra d’aller plus loin, même si vous croyez avoir « raté » votre travail au final (si pas conforme à vos attentes), car, lorsqu’on apprend, on oublie que notre cerveau, notre mémoire et notre gestuel ont besoin d’un temps d’assimilation, on a alors tendance à trop vouloir comparer le travail obtenu au « modèle mental » que l’on a en tête. En se dévalorisant qui plus est, sans tenir compte de l’importance de la mise en pratique du travail accompli par l’exercice réalisé qui est le premier pas (très important) vers un accomplissement pour lequel le facteur temps et la régularité des exercices répétés, vont favorablement jouer en faveur de celui qui les accomplissent.
Nicolas globe croqueur (et photographe)
Merci pour ces explications sur les ombres et sur la « mise en bouche » pour le voyage au Portugal que tu prépares. Du soleil dans nos têtes et dans nos cœurs en cette période de frimas.
Anny de la Fouchardière
Bonjour Alain
Merci pour ces petites leçons d’aquarelle sur le motif qui nécessitent d’être bien assimilées pour pouvoir travailler au plus vite quand on est in situ. Je voulais te dire que je ne m’inscris pas à ton prochain voyage au Portugal, car nous avons la chance de pouvoir passer gratuitement une semaine dans les environs de Faro, en Septembre prochain, suite à un échange de maisons. Mais, j’espère bien profiter des lieux pour faire un petit carnet. Je penserai à toi.
Je veux rajouter un vers que j’ai entendu hier et que j’ai tellement aimé. « La mer était si bleue que seul le sang était plus rouge » attribué, je crois à P Claudel. Amicalement ANNY
Alain-MARC
Merci Anny, tu vas voir, quand tu seras à Faro et sa région, tu te régaleras à découvrir les coins que je partage avec vous tous dans ces billets. Mais comme il y en a plein d’autres dans ce coin (où j’ai également tourné des petites vidéos) mais qu’il m’a fallu faire des choix tant pour mes billets (si non, on y est l’an prochain), que pour nos étapes de stage, c’est déjà une base qui est là. Tu verras si tu y tombes dessus, que parmi les coins dont je ne parle pas dans cette série, il y en a où tu te croirais bien loin de l’Europe, fut-elle du sud !
Amitiés, et à +,
Aquabulbe
Très sympa, vraiment.
Cordialement
Alain-MARC
j’essaierai de faire mieux à l’avenir, en tout cas, merci pour votre passage !