« Portrait de mon père » de JEAN MARC

 

Nous sommes en 1937. Le petit Roger vient de terminer le portrait de sa maman, cousant près de la fenêtre

Né d’un remariage, le jeune garçon passionné de dessin, du haut de ses treize ans, voit son père, handicapé, âgé, décliner petit à petit, et il voudrait bien en immortaliser l’image au cas où sa maladie s’aggraverait, qu’il ne puisse plus poser pour lui, d’autant plus que dans le village, il est un peu considéré comme un pestiféré …

Il faut dire que Jean-Marc, le papa de Roger, est déjà divorcé lorsqu’il se marie en 1923 avec Marie-Madeleine (sa maman, qui a perdu son premier mari mort au combat pendant le conflit franco-allemand de 1914 – 1918).

Venu de l’extérieur de Montans, il cumule donc aux yeux des habitants du village deux tares épouvantables presque considérées comme des crimes, puisque, divorcé, il a épousé une jeune femme du pays encore endeuillée au lendemain de l’effroyable boucherie de la Grande Guerre !

Roger, né de cette inqualifiable union, porte donc sur le dos le fardeau de ce scandale, de cette honte, et le pire de tout, c’est que son père est de surcroît « radical- socialiste », un « rouge  parmi les  rouges » qui se garde bien de mettre les pieds à l’église en face de laquelle il vit, mais ne dédaigne pas partager un verre ou une partie de manille au bistrot avec le vieux curé qu’il trouve sympathique, alors que son épouse Marie-Madeleine, fervente catholique, ne rate pas une seule messe le dimanche matin. Mais la pauvre femme, méprisée par la communauté chrétienne est montrée du doigt, le sacrilège de son union la suivant comme son ombre…

Quant à Roger, il est ces jours-là partagé entre le désir de rendre service à son père, marchand forain de petites merceries (matériel de couture, laines et fils de toutes sortes) en l’accompagnant jusqu’au marché de Lisle-sur-Tarn où il se rend tous les dimanches matin, et celui d’aller avec sa maman à la messe, en bon garçon d’une douzaine d’années qui doit suivre son catéchisme pour préparer sa communion solennelle. Il essaie de faire les deux tant bien que mal, le curé de l’époque qui discute parfois avec son père acceptant ces absences informelles, jusqu’à ce que ce brave homme soit remplacé par un nouveau prêtre l’année même de la communion.

Le nouvel arrivant, particulièrement réactionnaire (qui va même pendant les messes jusqu’à compter les fidèles pour voir qui n’est pas là), dit au père de Roger : « Si Roger veut faire sa communion, il doit venir à la messe tous les dimanches sans exception, aucune absence ne sera acceptée» .

Jean-Marc, tout aussi tolérant qu’il est radical-socialiste, demande donc à son fils de suivre à la lettre les exigences du prêtre, et Roger se rend aussitôt à l’office religieux du dimanche matin suivant, se met au premier rang près de ses petits camarades, posant son béret à côté de lui. Au moment du sermon, le curé monte en chaire et s’adresse immédiatement à l’enfant devant tous les fidèles :

« – Roger CARRIÈRE, mets-toi à genoux dans la nef. »

L’enfant obtempère, et le prêtre ajoute : « – tu n’es pas digne de faire ta communion avec les parents que tu as ! …Et ce n’est pas parce que tu viendras à la messe tous les dimanches que tu feras pour autant ta communion. »

Le jeune garçon, profondément blessé par rapport à ses parents que le prêtre met en cause, se lève sans attendre, prend son béret, marche jusqu’au fond de l’église, et, près du portail d’entrée, s’arrête, se retourne, fixant l’ecclésiastique à qui il profère :

« – Je fais partie d’une famille, et vous avez parlé de cette famille en la jugeant et en l’accusant au nom du Christ, qui lui, était tolérant. Je ne peux entendre cela, alors je vous dis : – peut-être à plus tard ! »

Et il s’en va.

JEAN MARC a 13 ans lorsqu’il réalise cette toile du portrait de son père…

Il est évident que Roger ne fit jamais sa communion solennelles, son père n’étant pas devenu le meilleur copain de ce curé depuis ce jour-là !

Sans doute pense-t-il à cela un an plus tard, lors qu’après avoir terminé celui de sa mère il fait le portait de son père qui vient de passer ses 75 ans, somnolent, fatigué, mais acceptant de poser pour lui, même si, malgré l’admiration et les encouragements de son entourage autant que de l’instituteur pour les peintures réalisées par son fils, il lui interdit formellement de se projeter dans des études artistiques.

Jean-Marc veut que Roger réussisse : être artiste n’est pas un métier, il sera au moins commerçant comme lui !

Depuis hier 6 juin, l’exposition consacrée au petit Roger devenu JEAN MARC (pseudonyme d’artiste qu’il a pris en hommage à son père, mais nous verrons bientôt que cet hétéronyme va lui réserver une incroyable surprise) est ouverte au musée de l’archéosite de Montans depuis le 6 juin jusqu’en novembre prochain, vous y découvrirez parmi un grand nombre d’autres œuvres précieuses cette peinture remarquable du papa du petit Roger.

Quant à la suite, je vous en reparle la prochaine fois…

31 Responses

  1. Annick
    | Répondre

    Très émouvant….Quelle intolérance à l’époque de la part de ce curé……félicitations à ce petit garçon, bien que blessé, à eu le courage de dire ,à juste titre,ce qu’il avait sur le coeur.
    Bravo à l’artiste pour avoir réalisé ce portrait, très réaliste, du haut de ses 13 ans.

    • Alain-MARC
      | Répondre

      En tout cas, il nous remet tous à notre place quel talent que nous ayons.

  2. Huguette
    | Répondre

    C’est magnifique et ce récit si touchant.
    Merci Alain pour ce très fort témoignage
    Porte toi bien
    Huguette

    • Alain-MARC
      | Répondre

      Merci Huguette. Cet histoire se répète souvent de nos jours sous d’autres visages. Ce qu’on peut en retenir c’est l’importance d’essayer de comprendre avant de juger…

  3. Anne-Marie BUREL
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    Merci Alain pour ce récit poignant et ce magnifique portrait.
    Mais peut-être pourrons nous cet été visiter l’exposition si elle continue jusqu’en septembre.
    Amitiés aquarellées
    Anne-Marie

    • Alain-MARC
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      Elle continuera même jusqu’en novembre, Anne-Marie.

  4. Jeannine Guy
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    Temoignage bouleversant et si lucide .Quele dignite et force dans la reaction de ce jeune garcon…
    mais l’intolerence sectaire ne cesse de renaitre comme une hydre sous des formes sans cesse renouvellées..

    • Alain-MARC
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      C’est bien vrai Jeannine ! …Comme quoi la vie est un combat sans fin.

  5. Dany Breuil
    | Répondre

    Quelle belle et émouvante histoire que tu sais si bien raconter Alain. Je regrette de ne pouvoir voir l’expo mais j’espère que tu mettras en ligne des photos des œuvres de ton père.
    Tu pourrais en faire un beau livre. Bien amicalement

    • Alain-MARC
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      Oui, j’y pense, Dany (et depuis longtemps), car la mémoire disparaît avec nos vies, et celle liée à la vie et à l’œuvre de mon père est emplie de tant d’histoires si extraordinaires qu’elle peut faire sans déformer le moins du monde la réalité plus qu’un incroyable roman ! C’est simplement le temps qui me manque, les journées n’ayant que 24 h et ne pouvant pas récupérer à moins de 4 ou 5 h de sommeil d’affilée, car il y a tellement de choses à réaliser en même temps !

  6. Azalaïs
    | Répondre

    quel récit admirable, j’ai un peu vécu la même situation, j’étais à l’école des sœurs de mon village tarnais lorsque mes parents ont divorcé. Ma mère encore jeune et belle a vécu sa vie de femme et a dû quitter le village car elle était l’objet de médisance. Je suis restée chez ma grand-mère qui a voulu me protéger mais chez les religieuses, j’étais regardée comme un mouton noir. J’espère venir voir à Montans, donnerez-vous les dates de l’expo?

  7. Jackie
    | Répondre

    Émouvant et tellement triste
    Merci Alain pour ce très bel article

    • Cathy Raissouni
      | Répondre

      Merci, Alain, de ce témoignage très touchant. L’intolérance se retrouve malheureusement depuis toujours dans toutes les couches de la société française, par ci par là, pour une raison ou pour une autre… On grandit vite ainsi lorsqu’on en est victime ou témoin. Bien à toi, Cathy

  8. micheline vaudenay
    | Répondre

    Bonjour Alain,
    J’ai eu des difficultés pour joindre ton site mais ça y est tout s’est bien passé.
    L’histoire de tes grands parents et de ton père est édifiante. Combien de femmes ont été rabrouées car divorcées, ou veuves et remariées au seul nom d’une doctrine mal digérée ! Et à l’époque dont tu parles la tension entre les catholiques et les « rad-soc » était virulente. Pour les femmes c’était: mariée ou veuve éternelle, pour les hommes… L’opprobre était là mais ils s’en sortaient quand même et avaient la politique pour s’exprimer.
    La peinture est forte, comme la précédente. Elle dénote vraiment d’un tempérament artiste chez ce petit bonhomme de 12 ans. Tu as de qui tenir !
    Lexpo, dans ton sud natal, ne sera qu’un regret pour moi la nordiste, mais pourquoi rien dans le nord ???
    Je t’embrasse Alain, vivement le prochain billet.

    • Alain-MARC
      | Répondre

      Si une opportunité d’exposer son œuvre dans un endroit institutionnel du nord nous était offerte, ce serait avec joie que je collaborerais à son organisation !
      J’espère que les pouvoirs publics autres que régionaux finiront un jour par s’intéresser à lui et à ce qu’il nous lègue…

  9. Gretha Bakker
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    Merci beaucoup Alain ! L’histoire est très émouvante !
    Tu est doué pour l’écriture ! Tu est un vrai artiste !
    À bientôt à la Fresse.
    Bises Gretha

  10. Kuntzer Jacqueline
    | Répondre

    Ton père avait du caractère ! L’intolérance a toujours existé et n’est pas près de régresser, hélas…
    Bonne expo.

  11. Très beau portrait, expressif et sensible. Et un très bel hommage de ta part.
    L’intolérance est sœur de la bêtise… Hélas, nous la côtoyons tous les jours. Que l’Art nous préserve de ces travers et dépasse la mesquinerie humaine…

  12. Encore un exemple de l’attitude sectaire de certains de ces cléricaux, qui n’est autre, au fond, qu’une histoire de domination en cherchant à diviser, et pour cela, rien de tel que de désigner un « mouton noir ». Heureusement que ton père avait du caractère et qu’il a très bien répondu, et puis, au moins, il n’a pas eu à retourner voir cet affreux personnage tous les dimanches.

    A son caractère, j’ajouterai aussi qu’il a eu « le nez creux » et, de par son activité artistique, il a pu rebondir après l’hiver 1956 et vivre de sa passion. Bravo encore à lui.

    Je ne promet rien, mais je tâcherai de passer à l’exposition à Montans.

    Salutations amicales.

    Nicolas.

    • Alain-MARC
      | Répondre

      Pas de soucis, Nicolas, si tu descends dans le sud expo sera là tout l’été et l’automne !

  13. gaullier jacqueline
    | Répondre

    Merci Alain pour le partage, pour ce témoignage si touchant. Je souhaite grande réussite à l’exposition. Amicalement . Jackie
    (Jacqueline)

  14. Pascale liszewski jung
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    Quel parcours, quelle volonté nourrie par un caractère bien trempé. Et pourtant il démarrait dans la vie avec un lourd fardeau, une jeune existence qui’ressemblait plus à un parcours d’obstacles. Cela me fait penser à ces gamins dits des cités qui souvent se construisent sur un cumul de difficultés et qui finissent par s’en sortir contre toute attente à force de volonté ou parce qu’à un moment il croise la bonne personne qui leur evitera la bascule.

  15. greffioz jean
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    Merci Alain pour ce partage et cet hommage à ton père . Effaré mais peu surpris devant tant d’intolérance et de perversité de la part de ce curé ayant suivi une partie de mes études dans un pensionnat religieux .Elle est encore à l’oeuvre aujourd’hui malheureusement dans toutes les composantes de notre société y compris institutionnelles.Avec impatience j’attends de me plonger dans l’univers artistique de Jean Marc . Amitiés

  16. Domi Villard
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    Incroyable cette répartie implacable, polie, ferme et bien amenée pour ce petit garçon face à l’autorité à laquelle il était confronté … ça laisse rêveur, ou dubitatif face aux commentaires anonymes le plus souvent , qui déchaînent la parole virulente sur internet , et ce sur n’importe quel sujet ! Merci pour ces partages Alain, ça fait du bien !

  17. Michelle
    | Répondre

    Que c est beau….. J aime beaucoup que tu nous racontes l histoire de ton père. On y sent ton admiration et ton amour.
    Mon papa aussi a été sans être artiste comme le tien… un rouge et pas du tout catholique. Dans le petit village de lorraine ou maman habitait, c était juste après la deuxième guerre mondiale, les gens le regardaient de travers mais le curé trouvait (parait il) qu il était bien plus chrétien que tous ses paroissien;:-). Plus tard il y a eu les discussions a table. Maman était catholique et tenait a ce que j aille aussi a l église et papa trouvait « si ca t amuse, vas y »:-) J y suis donc allée car toutes mes copines y allaient aussi. J aimais les histoires et on s amusait bien….. et quelques mois avant la communion, le curé m a sermonné et m a dit que je ne pourrais pas la faire, que je pouvais partir car j arrivais toujours en retard. J étais désolée et papa m a remis du baume au coeur ce soir la en me disant…. »ne t en fait pas ma grande, tu auras quand même des cadeaux » :-)))))
    Au plaisir de lire bientôt. Bien amicalement. Michelle

  18. Jean-Noël BAUD-LAVIGNE
    | Répondre

    Je découvre tout en me replongeant dans les mêmes histoires de mon village il y a plus de 60 ans ! C’est Don Camillo et Peppone, l’histoire de nombreux villages, entretenue par les mafieux au pouvoir en politique comme au vatican. Quel bonheur d’avoir eu un père si éveillé dès son jeune âge. Pas de hasard non plus, c’est dans la difficulté que l’on s’élève. Merci de ce beau partage du superbe tableau du grand-père.

  19. Ragni E Pasturel
    | Répondre

    Cher Alain,

    Ce récit de ton cher papa m’a fait monter les larmes aux yeux. Lui, très ouvert avec nous, surtout pendant son séjour chez nous en Californie en 2001, ne nous en a jamais parlé. Il était très discret à ce sujet. Il nous avait pourtant bien raconté pourquoi il avait pris le nom d’artiste JEAN-MARC.

    Il nous « entoure » avec ses ouvres et il restera toujours présents dans nos coeurs et dans nos pensées!

    Si la France et la Norvège nous permettent de franchir leurs frontières, nous serons en France à partir du 22 aout et ce jusqu’au 3 novembre. Nous ne manquerons pas d’aller à Montans pour l’exposition. Espérons bien que cela sera l’occasion de se retrouver.

    Avec toute notre amitié à toi et ta famille.

    Ragni et Marc

    • Alain-MARC
      | Répondre

      Oh oui, Ragni et Marc ! On pense souvent à vous, et j’espère qu’on se reverra à Montans si vous pouvez y passer à la fin de l’été (vous me le direz quand vous passerez ?).
      J’expliquerai dans un nouveau futur billet l’incroyable aventure (dont j’ai été témoin petit au moins dans sa « phase finale ») qui l’a amenée à conforter le choix de ce nom de JEAN MARC peu de temps après l’avoir chois en hommage à son père, car il n’était à ce moment là pas certain d’avoir fait le bon choix pour son pseudonyme d’artiste. Le Destin lui a alors apporté la certitude qu’il se nommait bien « JEAN MARC » dans « ses vies » de créateur, bien avant qu’il pense l’avoir intentionnellement choisi !
      C’est peut-être cette histoire que papa vous a racontée, il en manquait donc une « moitié », mais je garde le suspens pendant quelques temps encore, pour ménager mes lecteurs qui pourraient croire que j’affabule, la réalité dépassant en ce domaine la plus imaginaire des fictions !

  20. Je me permet de placer un nouveau commentaire.

    A travers cette histoire de prêtre réactionnaire, je redoute ce qui peut nous attendre, hélas, dans les prochaines années, avec le retour de ces inquisiteurs qui voudront mettre la société au pas, en désignant les « mauvais » qui seront réfractaires à leur dogme, et les « bons » qui leur resteront soumis.

    • Alain-MARC
      | Répondre

      Oui, particulièrement pour ce genre de personne (si on considère un comportement outrancier négatif et destructeur). Mais heureusement, mon père a rencontré bien plus tard un autre prêtre vraiment remarquable, grand résistant et Juste parmi les nations, dont il devint l’ordonnance pendant ses années d’engagement dans les forces françaises libres. C’était l’abbé Léopold ROUSSEAUX, ce qui nous démontre une fois de plus que c’est la valeur individuelle de chacun, quel que soit sont statut social, religieux, ou ses origines, qui en font un être ouvert et bienveillant ou pas…

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